Liens profonds, condamnation de la Société Playmedia – France - Cass. 4 juillet 2019

publié le 04 juillet 2019

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 4 juillet 2019, Société Playmedia contre France TV


DROITS VOISINS/PRODUCTEURS DE PROGRAMMES AUDIOVISUELS/CONTREFAÇON/LIENS PROFONDS/CONCURRENCE DELOYALE/MUST CARRY

Dans une affaire opposant France TV à la société Playmedia, diffuseur de contenus audiovisuels sur son site playtv.fr, la Cour a condamné Playmedia pour violation des droits voisins d’une entreprise de communication audiovisuelle et de producteurs de programmes, contrefaçon par technique de la transclusion et de liens profonds et enfin pour concurrence déloyale.

La société contrevenante proposait la diffusion en streaming, sur son site playtv.fr, de programmes audiovisuels, dont ceux de France TV, sans son accord, en utilisant la technique des liens profonds.

 

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Playmedia mettait en avant une décision du CSA lui reconnaissant le statut de « distributeur de services de chaines de télévision »,  permettant à ce titre de bénéficier du « must carry » (art. 34-2 de la loi du 30 septembre 1986), disposition qui oblige les distributeurs (donc ici Playmedia) à mettre gratuitement à la disposition de ses abonnés les chaines TV publiques sauf si les chaines estiment que l’offre proposée par le distributeur est incompatible avec le respect des missions de service public. C’est donc, selon la société Playmedia, pour respecter une obligation légale qui lui impose de diffuser ces chaines, que celle-ci diffuse les chaines publiques, ce qui ne pourrait être entravé, par une demande d’accord préalable de France TV.


France TV défend le principe de l’accord préalable et a pour sa part contesté la décision du CSA en portant l’affaire devant le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir du CSA tout en engageant parallèlement une procédure devant les tribunaux, faisant l’objet de la décision commentée qui confirme l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris, déjà en ce sens, du 2 février 2016.


Le Conseil d’Etat ayant préalablement posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE sur le statut de Playmedia (CE, 10 mai 2017), la Cour de cassation a décidé de sursoir à statuer le temps d’une décision de la juridiction de l’UE, intervenue le 13 décembre 2018.



1/ Atteinte aux droits voisins d’entreprise de communication audiovisuelle et des producteurs sur les programmes de France TV.


La CJUE dans son arrêt du 13 décembre 2018 conteste l’avis du CSA sur la base de la directive 2002/22 services universels.


La décision qualifiant Playmedia de « distributeur de services de chaines de télévision » est donc annulée.


Selon la Cour, il ne suffit pas de diffuser des programmes en continu et en direct sur internet pour se voir reconnaitre le statut d’entreprise qui fournit un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique de chaînes » au sens de l’article 31 de la directive dite « service universel » du 7 mars 2002. Une entreprise, telle que Playmedia, ne fournit pas un réseau de communications électroniques (L’activité qui consiste à proposer le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur un site Internet ne relève pas de cette définition. En effet, le seul fait qu’une entreprise, pour offrir ces services, soit un utilisateur d’un réseau de communications électroniques tel que défini à l’article 2, sous a), de la directive-cadre, à savoir Internet, ne permet pas de considérer qu’elle est elle-même un fournisseur d’un tel réseau), mais offre, en revanche, un accès aux contenus de services audiovisuels fournis sur les réseaux de communications électroniques.


Playmedia ne peut donc se voir appliquer le dispositif qui en résulte.


En conséquence, la Cour de Cassation reprend ainsi l’argument de la CJUE.


En plus de la diffusion des programmes en continu et en direct sur internet, la Haute juridiction rappelle sur le fondement de l’article 2-1 de la loi du 30 septembre 1986 (instituant le must carry), qu’il incombe au distributeur de services d’établir, préalablement à toute diffusion, des relations contractuelles avec les chaines en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à la disposition du public par un réseau de communication électronique. Cette condition est un préalable à l’application du « must carry » et donc à cette obligation légale de diffusion des programmes de France Tv, derrière laquelle se retranchait la contrevenante. La seule déclaration de son activité auprès du CSA est insuffisante pour tomber sous le coup du régime de l’article 31 de la directive 2002 précité et ainsi se voir imputer l’obligation de diffusion des chaines publiques gratuitement.


Par ailleurs, la Cour rappelle que le « must carry » impose un accès certes gratuit, mais à des abonnés et non pas en accès libre comme c’est le cas du service proposé par Playmedia. 


N’ayant pas respecté ces conditions, l’atteinte aux droits voisins est confirmée faute d’accord préalable.



2/ Contrefaçon par la technique des liens profonds et de la transclusion (framing).


Faute de pouvoir bénéficier du must carry, Playmedia arguait dans tous les cas du libre usage des hyperliens sur internet et ainsi de l’absence de communication à un public nouveau, aucune mesure de restriction n’ayant par ailleurs été adoptée.


La Cour reproche cependant à Playmedia d’utiliser la technique de la transclusion qui consiste à diviser la page de son site internet en plusieurs cadres et à afficher dans l’un d’eux au moyen d’un lien (in line linking) un élément provenant du site de France Tv, Pluzz.fr dissimulant en conséquence l’environnement dans lequel le programme est en réalité diffusé. En clair, le lien créé par Playmedia permet au public se trouvant sur le site playtv.fr d’accéder directement au programme et de le visionner sur ce site, sans être dirigé à sa connaissance sur le site source, pluzz.fr en l’espèce. La méthode est donc critiquable.


La Cour de Cassation réaffirme ici, une nouvelle fois, son opposition à la décision de la CJUE Best Water du 21 octobre 2014 validant le framing, pour mémoire « le seul fait qu’une œuvre protégée, librement disponible sur Internet, est insérée sur un autre site Internet au moyen d’un lien utilisant la technique du framing, telle que celle utilisée dans l’affaire au principal, ne peut être qualifié de communication au public, au sens de l’article 3 de la directive du 22 mai 2001, dans la mesure où l’œuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine ».


Et c’est probablement pour parer une éventuelle action que les magistrats argumentent encore en précisant que la jurisprudence de la CJUE concernait la protection du droit d’auteur et non des droits voisins comme en l’espèce. À ce titre, la Cour de Cassation réaffirme que c’est bien au regard de l’article L.216-1 du CPI que doit être interprétée la règlementation qui s’impose. Or selon cet article, sont soumises à autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à la disposition du public (etc). Et de préciser que cette interprétation ne contrevient pas contrairement à l’affirmation de Playmedia, aux termes de l’article 3-2 d) de la directive du 22 mai 2001. Selon la Cour, une règlementation nationale peut étendre le droit exclusif des organismes de radiodiffusion à des actes de communication au public que pourraient constituer des transmissions de programmes en direct sur internet par l’insertion sur un site internet de liens cliquables. France TV bénéficie donc justement en sa qualité d’entreprise de communication audiovisuelle du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public en ligne de ses programmes et de ses œuvres diffusés sur pluzz.fr.


La décision est évidemment satisfaisante sur ce moyen mais l’argumentation paraît toutefois particulièrement fragile au regard de la jurisprudence de la CJUE. Le terrain du droit voisin pour s’éloigner d’une décision initialement rendue sur celui du droit d’auteur paraît quelque peu délicat à défendre.



3/ Concurrence déloyale.


Sans surprise, l’absence de référence au site source pluzz.fr donnant ainsi l’impression à l’internaute qu’il est toujours sur le site playtv.fr est sans nul doute constitutif de concurrence déloyale, une telle pratique génère une confusion pour le public et s’avère ainsi distincte des faits caractérisant plus avant la contrefaçon, ce qui permet donc de se prévaloir de ces deux actions.



FOCUS : 

Après avoir précisé la notion de distributeur de chaînes de télévision (« d’entreprise qui fournit un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique de chaînes » au sens de la directive 2002) bénéficiaire à ce titre du must carry, la Cour de cassation vient surtout réaffirmer ses positions en matière de liens profonds qui s’opposent à la jurisprudence de la CJUE depuis 2014 (Arrêt Bestwater).


La Cour de cassation rappelle surtout que l’usage de liens est bien susceptible de faire l’objet de contrefaçon si la référence au site source n’est pas clairement affichée, comme c’est le cas avec la technique du Framing. La sanction était déjà possible si le lien renvoyait vers une source non autorisée ou qui n’est pas librement accessible.


La présente décision renforce les limites au libre usage des liens.

 



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