La vente de livres électroniques d’occasion sur un site internet constitue une communication au public - CJUE 19 décembre 2019

publié le 10 mars 2020
Dans un arrêt du 19 décembre 20191, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est pour la première fois prononcée en faveur de la régulation du marché de la vente de livres électroniques d’occasion, qualifiant cette pratique de communication au public et donc soumise à l’autorisation préalable de l’auteur.

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À l’origine de cette décision, les agissements de la société néerlandaise Tom Kabinet qui proposait aux membres du club de lecture qu’elle avait créé, l’achat de livres électroniques d’occasion via son site internet ; site qui s’avérait accessible à toute personne qui s’y inscrivait, sans devoir s’acquitter de frais d’adhésion.

 

Deux associations représentant les intérêts d’ayants droit, ont alors saisi le tribunal de La Haye d’une requête visant à interdire la mise à disposition de ces livres estimant qu’il s’agissait d’un acte de communication au public non autorisé.

 

La société mise en cause a soutenu quant à elle que cette pratique relevait du droit de distribution qui, en application de la directive 2001/292, n’est plus applicable après une première commercialisation de l’œuvre3, de sorte qu’un livre d’occasion peut être mis à disposition sur un site de téléchargement, sans autorisation.

 

Dans un jugement du 12 juillet 2017, la juridiction de renvoi conteste le recours à la communication au public, mais pour autant, relève qu’il n’est pas aisé de se prononcer sur l’acte de distribution ni sur la possibilité pour le titulaire du droit d’auteur, en cas de revente d’un livre électronique, de s’opposer aux actes de reproduction nécessaires à une transmission légitime entre acquéreurs ultérieurs de l’exemplaire sur lequel le droit de distribution est, le cas échéant, épuisé.

 

C’est dans ces conditions que le tribunal a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE plusieurs questions préjudicielles.

 

La CJUE écarte tout d’abord le droit de distribution estimant4 qu’il ne vaut que pour les objets tangibles tels que les livres sur support matériel et non pour des livres numériques. Pour ces derniers, la Cour rappelle que leur qualité ne s’altère pas avec le temps (contrairement au livre papier) et que les livres d’occasion constituent ainsi un véritable substitut aux livres neufs. Reconnaître un droit de distribution et en conséquence un épuisement de ce droit après la première commercialisation, priverait injustement les ayants droit des revenus qui leur sont pourtant dus.

 

La Cour poursuit en reconnaissant toutefois dans la pratique de la société Tom Kabinet un acte de communication au public5.

 

En effet, la CJUE rappelle sans surprise que la notion de communication au public s’entend au sens large6, en associant deux éléments cumulatifs :

 

 la fourniture du service qui permettra, si l’internaute le souhaite, d’accéder à l’œuvre (condition remplie en l’espèce par le fait de permettre à tout membre du club, une fois connecté sur le site, de télécharger un livre) ;

 l’accès effectif à l’œuvre, parallèlement ou successivement, par un nombre indéterminé et important de destinataires potentiels constituant un public nouveau7, c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public. 

 

Dès lors que la mise à disposition d’un livre électronique est accompagnée d’une licence d’utilisation autorisant seulement sa lecture par l’utilisateur l’ayant téléchargé à partir de son propre équipement, il y a lieu de considérer qu’une communication telle que celle effectuée par Tom Kabinet est bien destinée à un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur et, qu’il s’agit donc d’un public nouveau.

 

 

FOCUS : 

L’apport de l’arrêt ne se fait pas sur les critères de la communication au public qui demeurent constants depuis maintenant plusieurs décisions8, mais bien sur l’extension de cette prérogative du droit d’auteur à la vente de livres numériques d’occasion, sous réserve toutefois que les fichiers qui en permettent le téléchargement, soient proposés successivement ou parallèlement à un grand nombre de personnes. La décision serait en l’espèce inapplicable si le fichier ne peut être acquis que par une personne, qui pourra ensuite à son tour le proposer de nouveau à la vente et ainsi de suite, comme cela se fait pour le livre papier ce qui limite la portée de la décision à un cadre bien circonscrit. 

 

 

 

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1. Affaire C‑263/18, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas), par décision du 28 mars 2018, parvenue à la Cour le 16 avril 2018, dans la procédure Nederlands Uitgeversverbond (NUV), Groep Algemene Uitgevers (GAU) contre Tom Kabinet Internet BV, Tom Kabinet Holding BV, Tom Kabinet Uitgeverij BV.

2. Article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

3. Article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29.

4. Par interprétation du Traité OMPI 20 décembre 1996.

5. Article 3 paragraphe 1 de la Directive 2001/29.

6. CJUE, 8 septembre 2016, aff.C-160/15, GS Media BV/Sanoma Media Netherlands BV.

7. CJUE, 7 mars 2013, aff.C-607/11, ITV Broadcasting ; CJUE, 3 février 2014, aff.C-646/121, Svensson ; CJUE, 8 septembre 2016, aff.C-160/15, GS MEDIA.

8. En particulier CJUE, 2ème chambre, 26 avril 2017, C-527/15, Stiching Brein/Wullems et CJUE, 14 juin 2017, aff.C-610/15, Stiching Brein/Ziggo BV XS4ALL Internet BV.